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SOUVENIRS   DU   DEPART   D’UN   TERRE-NEUVAS

 

Hyacinthe Chapron, de Saint-Benoit-des-Ondes, embarque comme mousse à 14 ans :

«  C’est le 28 mai 1953, que j’embarque pour la première fois sur un chalutier de grande pêche, le ’’Téméraire’’. J’avais 14 ans et je venais de passer mon certificat d’études avec succès. Mes parents étant des petits cultivateurs, en location dans la ferme, avec une famille de 10 enfants, je ne pouvais pas poursuivre mes études.

Né entre Cancale et le Mont-Saint-Michel, j’ai passé mon enfance dans la grève. J’étais tous les jeudis et les jours de congés avec les pêcheurs à pied à relever les poissons des pêcheries ; c’est peut être ce goût de la mer et de la pêche qui m’a donné l’idée de partir à Terre-Neuve. Pour être mousse, il fallait remplir quelques formalités (visite médicale, vaccinations) et avoir une offre d’embarquement. Si le gamin était costaud et sortait d’une ferme, il avait des chances d’être retenu pour embarquer : c’est ce qui s’est passé pour moi.

Quelques jours avant le départ, je fus convoqué au quartier des Affaires Maritimes de Saint-Malo où se tenait la revue d’armement. Tout l’équipage était présent ainsi que l’armateur, Monsieur Louis Girard. La revue était présidée par l’Administrateur des Affaires Maritimes et l’on distribuait la charte-partie (conventions collectives) à l’équipage ainsi qu’un mois de salaire d’avance afin de pouvoir acheter cirés et bottes.

Le jour du départ, j’ai rejoint Saint-Malo avec une voiture à cheval pour porter mon sac et ma barrique vide pour les provisions personnelles de poisson salé que l’on faisait à bord. L’animation et l’impatience étaient grandes. Le ’’ Téméraire’’, amarré bassin Vauban, était pour moi flambant neuf, avec sa peinture fraîche, sa coque toute verte et sa passerelle blanche. A l’arrière, son énorme cheminée crachait déjà une fumée noire car c’était en fait un bateau construit en 1926  et équipé d’une machine à vapeur alimentée au charbon. Je suis vite monté à bord et j’ai rejoint le poste d’équipage aménagé  à l’avant sous le gaillard. J’ai eu la chance d’être dans le poste du haut et non pas dans celui du bas situé à la hauteur de la ligne de flottaison ; mais ma couchette se trouvait complètement à l’avant, entre les deux écubiers. A chaque mouvement de roulis, les chaînes de mouillage cognaient dans les écubiers et faisaient un bruit de ferraille, vacarme dont il a bien fallu s’accommoder pendant toute la durée de la campagne.

A 16 heures, nous quittons Saint-Malo avec l’assistance d’un remorqueur. Malgré la séparation avec mes parents, j’étais heureux de partir vers cette aventure, même si elle ne devait pas être facile. Les anciens terre-neuvas de mon village m’avaient bien dit : « mon p’tit gars, t’auras froid aux mains et p’is la d’sus, c’est marche ou crève, c’est le poisson qui commande ! », mais je n’imaginais pas que ce serait aussi dur .

Il part ainsi pour sa première campagne de pêche, qui se déroulera en mer de Barents et durera 5 mois :

« Le 15 octobre, le capitaine reçoit de l’armateur l’ordre de faire route vers  Saint-Malo où nous arrivons le 24. La campagne est finie et je suis prêt à repartir malgré la rigueur de la vie à bord et la dureté des conditions de travail. Je pense déjà que ce sera mon métier … »

Ce sera le premier voyage d’une brillante carrière qui le mènera aux responsabilités  de capitaine sur les bancs quelques années plus tard. En effet, dès 1963, l’armateur Marie-Ange Glâtre lui confiera le commandement du « Pingouin ».