La pêche à Terre-neuve
Avec un réchauffement des eaux, la morue qui était couramment pêchée dans le golfe de Gascogne, en Manche et en Mer du Nord, se raréfie le long de nos côtes à partir du XIIIème siècle. Recherchant le poisson, les pêcheurs vont jusqu’en ’Islande et, à partir du XVème siècle, près de l’ile de Terre-Neuve. Les relations des navigateurs, John Cabot en 1497, mais également les pêcheurs baleiniers Basques, décrivent cette zone comme particulièrement poissonneuse. A cette époque, la pêche à la morue est déjà une activité importante en Bretagne. En 1514, une transaction de l’abbaye de Beauport fait allusion aux poissons pêchés depuis 1460 « tant en la coste de Bretaigne, de Terre-Neuffe, Islande, qu’ailleurs ». En 1534, Jacques Cartier, lors de son voyage de découverte du Canada, trouve près du cap Bonavista plus de 100 bateaux de pêche français. Bretons et Normands qui y côtoient des navires espagnols, portugais et anglais.
Au XVIème siècle, la consommation de la morue dépasse celle du hareng. Le poisson tient alors une place importante dans l’alimentation : on le mange lors des cent cinquante jours maigres que compte une année. De Dunkerque à Saint Jean de Luz, la pêche morutière est si importante jusqu’à la révolution que l’on peut parler d’une Europe de la Morue » où les Français tiennent l’un des premiers rôles.
Mais les nombreuses guerres franco-anglaises entravent le développement de cette activité. Divers traités répartissent les zones de pêche réservées aux deux nations. Outre Saint Pierre et Miquelon, les Français ont le droit d’exploiter à partir du XVIIIème siècle une partie des côtes de Terre-Neuve, le « French shore ». Sur cette côte, les Français s’installent pour faire sécher la morue pêchée à proximité de l’île. Leurs installations sont précaires et consistent essentiellement en un abri construit en bois et un appontement. Le French Shore, continuellement remis en cause par les anglais de Terre-Neuve, se réduira progressivement pour disparaitre définitivement en 1906.
L’Etat édicte des mesures pour préserver l’armement morutier ; non seulement cette pêche fait vivre des milliers de familles – la morue est un excellent produit d’exportation - mais c’est aussi et surtout parmi les inscrits maritimes qu’il recrute les marins de la Royale. A l’aube de la Révolution, Flamands, Normands, Bretons, Vendéens et Basques pratiquent la grande pêche. Il y a alors 21 000 pêcheurs en France, dont 10 000 Terre-neuvas.
L’activité de pêche à Terre-Neuve, au cours de son histoire, s’est souvent trouvée contrariée par les conflits que la France a connus. En temps de guerre, l’activité de pêche se révélait impossible et nombre de Terre-Neuvas se faisaient corsaires lorsqu’ils n’étaient pas requis sur les navires du roi.
Totalement interrompue pendant la période révolutionnaire, la pêche morutière recommence à se développer à partir de 1815 et connait alors un âge d’or qui dure jusqu’en 1914.
Poursuivant une tradition déjà ancienne, les ports de la baie de Saint Brieuc, de la région malouine et de haute Normandie arment pour Terre-neuve tout au long du XIXème siècle. L’apogée de la Grande pêche se situe vers 1903. Cette année là, 426 bâtiments ont appareillé pour les bancs, qui ont embarqué 10666 marins. Pourtant déjà en 1908 il n’y a plus que 228 voiliers armés à Saint Servan (54) Fécamp (54), Saint Malo (41) Cancale (40), Granville (32) et Dahouët (2).
Les goélettes partent début mars pour une campagne de neuf mois, avec trente cinq hommes d’équipage pour les navires les plus importants. Les ports de livraison au retour sont Fécamp, Saint Malo, La Rochelle, Nantes et plus particulièrement Bordeaux.
Vers 1900, le bâtiment le plus couramment utilisé pour la pêche à Terre-Neuve est un petit trois mats goélette. Mais Fécamp arme également des trois mâts barques. Les pêcheurs se recrutent dans les villages autour de Fécamp, aux alentours de Granville, tout au long du littoral des Cotes d’Armor et dans le l’arrière pays Malouin.
Dès 1905, apparait sur les bancs un premier chalutier, le fécampois Augustin Leborgne, En 1919, après la grande guerre, 59 voiliers arment pour Terre-Neuve, mais on compte déjà 30 chalutiers. Fécamp arme encore une quinzaine de trois mats dans les années 1920, mais la pêche à la voile s’interrompt définitivement en 1934. Saint Malo, par contre en expédie 88 en 1923, et toujours une trentaine en 1934. Quelques autres ports arment des voiliers Terre-Neuvas dans l’entre deux guerres, notamment Granville, La Rochelle, Lorient et Paimpol. La grande aventure de la pêche morutière à la voile en France s’achève en 1951 avec l’ultime campagne du trois mâts « Lieutenant Rene Guillon » de Saint Malo.
La grande pêche reste florissante jusqu’au milieu du XXème siècle. Fécamp, Bordeaux et Saint Malo arment nombre de chalutiers « classiques » où le travail du poisson est identique à celui effectué auparavant sur les voiliers. Ces chalutiers font deux à trois voyages par an pour une durée totale de neuf mois. Puis, à la fin des années soixante apparaissent des chalutiers de pêche arrière plus puissants, plus modernes, équipés de machines pour travailler le poisson. Depuis les années 1990, plus aucun bâtiment métropolitain ne pratique le « grand métier ». En 1993, les derniers navires Français de Saint Pierre et Miquelon doivent à leur tour cesser la pêche à la morue dans les eaux de Terre-Neuve actant ainsi la fin d’un métier et des Terre-Neuvas.